Aussi connue sous le nom de la dysmorphie musculaire ou de l’anorexie inverse, la bigorexie est une sous-catégorie des troubles de dysmorphie corporelle, au même titre que l’anorexie. Cette obsession ou dépendance peut être comparable aux troubles de dépendances comme l’alcoolisme…
Introduction
Aujourd’hui, les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram sont bondés de photos et de vidéos sur l’entraînement et la nutrition. Souvent accompagnés d’un homme musclé (et découpé au scalpel) ou d’une femme au derrière proéminent portant des vêtements plutôt révélateurs, ces images ou vidéos portent également un message motivationnel qui incite les gens à bouger plus et à mieux manger. « No pain, no gain! » « Sweat is just fat crying! » « Excuses don’t burn calories! ». À voir le nombre de like et de comment sur ces publications, cela semble apporter à première vue un effet positif.
Toutefois, avant d’atteindre un physique aussi impressionnant qu’eux, il faut généralement se restreindre à un programme d’entraînement strict et intense, surveiller sa diète constamment, s’assurer d’avoir une bonne récupération entre les entraînements et un sommeil optimal, et souvent même, prendre des supplémentations. Certaines personnes diront que c’est un mode de vie à adopter afin d’être en santé, tandis que d’autres verront plutôt ce comportement comme un trouble obsessionnel malsain.
Qu’est-ce que la bigorexie?
Pour avoir une santé optimale, il faut être actif physiquement, avoir une diète saine et équilibrée, avoir suffisamment d’heures de sommeil, etc. Avant d’observer des changements ou des résultats significatifs sur notre corps et notre santé, il faut d’abord être en mesure de maintenir ces habitudes dans le temps. Comme dirait un vieux proverbe, « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Par contre, lorsque l’unique préoccupation d’une personne est l’entraînement et l’apparence corporelle musclée qui en résulte, et lorsque les autres sphères de la vie en sont affectées négativement (travail, école, famille, amis, etc.), on parle d’une psychopathologie appelée la bigorexie.
Aussi connue sous le nom de la dysmorphie musculaire ou de l’anorexie inverse, la bigorexie est une sous-catégorie des troubles de dysmorphie corporelle, au même titre que l’anorexie. Cette obsession ou dépendance peut être comparable aux troubles de dépendances comme l’alcoolisme, par le fait que les individus ne vont pas cesser leur dépendance d’un seul coup malgré les risques pour leur santé. De même, les individus atteints de ce trouble ont une perception embrouillée de leur apparence physique. C’est-à-dire, qu’ils sont rarement satisfaits de leur masse musculaire, se voyant trop petits, et tentent donc de l’augmenter constamment.
Quelques chiffres
Encore aujourd’hui, il existe peu de données sur la maladie, mais selon plusieurs experts, le nombre de cas (prévalence) et de nouveau cas (incidence) serait en augmentation. À ce jour, nous savons que :
- elle affecte les femmes et les hommes, mais semble être plus présente chez ces derniers;
- elle touche autant le sportif de haut niveau que le sportif modeste;
- l’âge moyen de l’apparition de la maladie est estimé à 19,5 ans;
- 5 % des individus pratiquant l’entraînement en salle serait atteint de la maladie, tandis que le pourcentage augmenterait à 10 % chez les culturistes;
- le taux de prévalence de la bigorexie dans la population générale pourrait être semblable au taux de prévalence de l’anorexie, soit 0,4 %;
- 15 % des personnes qui pratiquent entre 1 et plusieurs heures de sport par jour peuvent être touchées par la bigorexie.
Comment reconnaître une personne bigorexique?
Voici un tableau sommaire qui présente les 10 critères de la dépendance à l’exercice selon D. Veale, 1991. Cependant, on ne mentionne pas le nombre de critères minimal pour être considéré comme dépendant à l’exercice. À vous de jouer : combien de critères pouvez-vous répondre oui?
Les causes
Étant donné que la bigorexie est encore peu connue dans notre société actuelle, peu de recherches scientifiques et exhaustives sur le sujet ont été faites jusqu’à présent. C’est pourquoi les causes de cette maladie restent multifactorielles et mal comprises. À travers nos lectures, nous avons répertorié différentes causes que nous croyons les plus susceptibles d’engendrer une dépendance à l’entraînement et à la musculature qui en résulte.
- Pression des médias et des critères de société : plusieurs rapportent que les messages médiatiques (magazine, pub commerciale ou figurine d’action, par exemple) orientés vers le corps et l’apparence physique ont un impact négatif sur la satisfaction corporelle des hommes.
- Faible estime de leur image : une étude sur plus de 25 ans auprès de la population générale rapporte que le taux d’insatisfaction de l’apparence a triplé entre 1972 et 1996, passant de 15 % à 43 %.
- Plus sensible aux critiques : cela les rendrait plus vulnérables aux pressions de la société moderne, et donc, plus à risque de développer la maladie.
- Le perfectionniste et le compulsif-obsessionnel: les personnes atteintes de la bigorexie ont un désir intense d’atteindre un standard corporel irréaliste, malgré les conséquences négatives y étant reliées.
- Facteur physiologique : les endorphines produites par le cerveau lors d’un exercice musculaire entrainent une multitude d’effets comme la fameuse « extase du sportif », diminution de la sensation de douleur, un certain effet anxiolytique (médicament contre l’anxiété) et euphorisant.
Les conséquences
Comment fait-on pour savoir si nous sommes atteints de ce désordre mental?
Plusieurs sphères de la vie peuvent être atteintes de façon plus ou moins importante dans le cas d’une personne souffrant de bigorexie. Premièrement, si la personne obtient le choix entre aller travailler et aller s’entrainer, cette dernière option sera préférée. Il peut donc y avoir des frictions avec l’employeur et les collègues de cette personne. Dans le même ordre d’idée, certaines discordances peuvent apparaître dans une famille où un membre est souffrant. Il pourrait être tenté de sauter un souper de famille pour accommoder son horaire d’entrainement ou encore refuser d’engloutir le même repas que les autres membres de la famille.
Au niveau psychologique, il ressent un effet constant de devoir tout donner en salle de musculation afin d’arriver à un physique cible. Rien n’est plus important pour cette personne que d’avancer vers son but en oubliant en quelque sorte de vivre. Aveuglée par ce désir insatiable, la personne atteinte de bigorexie peut même aller jusqu’à mettre sa santé en jeux. Plusieurs d’entre eux vont être prêts et même attirés par l’utilisation de substances dopantes interdites, que ce soit par l’injection de stéroïdes ou par prise orale de ceux-ci. Plusieurs cas de dépression et même de suicides ont pu être associés à la prise de produits dopants.
C’est ce qui peut amener à des problèmes de santé et des effets néfastes sur le corps humain. On compte parmi ces conséquences physiques :
- Une atrophie testiculaire (les gonades deviennent petites)
- Haute tension artérielle
- Des palpitations cardiaques
- Une acné sévère
- Une voix plus grave
- Une perte de cheveux prématurée
- Augmentation du ”mauvais” cholestérol
- Une fragilisation des tendons (déchirure du biceps assez fréquente)
- Et plus encore…
Mine de rien, le coût de ces produits dopants consommés en raison de la bigorexie s’élève à un montant assez surprenant. En effet, les personnes atteintes vont dépenser en moyenne 500 à 1000 dollars par MOIS pour leurs produits.
Si vous vous reconnaissez dans plusieurs points énumérés ci-haut, peut-être qu’un petit questionnement sur soi-même serait envisageable, dans le but d’améliorer votre qualité de vie.
Outils d’intervention
Voici une liste de quelques recommandations pouvant être bénéfiques pour diminuer le taux de prévalence et d’incidence de la bigorexie :
- Avoir un entretien (counseling) avec la personne dans l’objectif d’une prise de conscience. Par exemple, on peut:
-Établir avec la personne une liste des risques pour la santé (bénéfices vs risques);
-Connaître ses priorités dans la vie (famille et amis, travail, loisirs, etc.);
-Faire une projection de sa vie dans 5 ou 10 ans si l’individu maintient ce comportement;
- Faire connaître la maladie car la prévention permet d’éviter certaines stigmatisations en n’associant pas les troubles psychologiques à l’individu directement;
- Enseigner dès le plus jeune âge de pratiquer des activités sportives au lieu d’aller simplement dans un gym;
- Motiver la population à faire de l’activité physique dans un but d’y retirer du plaisir et pour avoir une bonne santé physique, plutôt que par désir de répondre à des critères sociaux en modifiant son apparence physique;
- Introduire des séances de relaxation pour diminuer le stress et l’anxiété, plutôt que par la pratique d’exercice physique démesurée.
Conclusion
La psychopathologie qu’est la bigorexie demeure peu connue et quelque peu sous-estimée. Il s’agit d’un problème de société, propagé par les médias sociaux et la pression générée par ceux-ci. Les conséquences d’une telle psychopathologie sont semblables à celles de l’anorexie, une autre défaillance contre qui la médecine se bat depuis déjà trop d’années.
Évidemment, il est difficile de déceler ce problème, et surtout de faire assumer à quelqu’un qui en est atteint qu’il devrait consulter afin de régler son problème. Il faudrait bien sûr commencer par faire de la sensibilisation, et pourquoi pas commencer dès que les jeunes sont en âge d’aller au gym. Certaines études transversales ont montré que la consommation de stéroïdes commence à partir du secondaire, ce pourrait donc être le point de départ de la lutte à la bigorexie, pour un monde plus en santé et moins superficiel.
Écrit en collaboration avec Julien Leroux – Étudiant à la maitrîse en kinésiologie à l’Université de Montréal.
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